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Partenariat ESAT des Muguets x La Fourche : interview d'Eric et Thibaud

Par Valentine Le vendredi 11 décembre 2020

citation

Un ESAT (Établissement et Service d’Aide par le Travail), est une structure qui propose aux personnes en situation de handicap une activité professionnelle et un soutien médico-social. 

A partir des missions de sous-traitance réalisées (entretien, conditionnement, etc.), les personnes en situation de handicap accèdent à une dignité par le travail. Les contacts noués en équipe et avec le personnel encadrant constituent une véritable rupture d’isolement et représentent un premier pas vers l'intégration sociale.

Bonjour Eric, pourriez-vous vous présenter et me parler de l'ESAT dans lequel vous travaillez ?

Eric : Oh la la, ça va être une longue histoire ! (rires) J’étais jeune, j’avais 21 ans lorsque j’ai démarré dans le médico-social. Mes parents étaient bouchers et fournissaient l’ESAT d’à côté à Taverny. A force d’aller leur apporter la viande, j’ai demandé à la directrice de me prévenir si elle avait une petite place pour moi.

J’ai finalement intégré cet ESAT qui accueillait des travailleurs avec un handicap physique. 5 ans plus tard, j’ai rejoint une structure plus importante où je me suis occupé de personnes déficientes intellectuellement.

J’ai passé mon diplôme d'éducateur technique spécialisé. J’ai pu apprendre à appréhender ce public, la personne en tant que telle, ce qu’on peut lui faire faire, les difficultés que l’on peut rencontrer au quotidien, etc. 

Après quelques années, j’avais envie de gagner en compétence. Alors de moniteur d’atelier je suis devenu chef de service en suivant un diplôme d’Etat reconnu de niveau Master 1, pas mal pour moi qui sortait d’un CAP ! Puis quand il faut se remettre aux études à 40 ans... c’est pas gagné ! (rires)

Aujourd’hui, j’ai en charge toute la production de l’ESAT des Muguets et je suis responsable des coordinateurs qui encadrent ses différentes activités : blanchisserie, espaces verts, entretien des locaux, conditionnement… soit 150 travailleurs en comptant les travailleurs détachés. Comme je chapeaute tout ça, malheureusement j’ai un peu le mauvais rôle, j’interviens surtout quand il y a un souci. Mais j’ai l’avantage de l’expérience : j’ai fait ça pendant 25 ans, je sais comment ça se passe, on peut pas me rouler ! (rires)

Thibaud : Quand tu vas sur place, tu comprends vite que tout tient grâce à Eric ! C’est lui qu’on va voir dès qu’il y a un problème. C’est vraiment lui qui fait bouger les choses à l’ESAT et d’ailleurs je suis bien content qu’il ait repoussé son départ à la retraite !

locaux de l'ESAT

Thibaud, pourriez-vous me dire en quoi consiste la collaboration de La Fourche avec l’ESAT des Muguets et pourquoi vous avez eu envie de la mettre en place ?

Thibaud : Notre collaboration revêt 2 aspects :

  • Une partie se déroule à l’ESAT, dont on utilise l’atelier de façonnage : c’est le conditionnement en petits sachets de nos produits type vrac que l’on a achetés en gros. Le tout suivant une ligne de production assez simple qui comprend la pesée, l’ensachage et le renvoi vers La Fourche.
  • De l’autre, 3 travailleurs - Jean, Hocine et Xavier - qui étaient prêts à rejoindre un site de production ont été détachés de l’ESAT et ont rejoints notre entrepôt à l’automne dernier. Ils ont en charge la confection des colis ou la production de calage (la récupération des cartons de nos fournisseurs que l’on écrase pour protéger l’intérieur des colis).
mise en sachet

"Notre chance c’est qu’on fait de la logistique, beaucoup d’activités de manutention, autrement dit des tâches adaptées aux travailleurs issus de l’ESAT. Il faut en profiter pour les accueillir !"

L’idée de cette collaboration revient à Nathan, l’un des fondateurs de La Fourche. Pour ma part, je me suis chargé d’intégrer les travailleurs détachés au sein de notre équipe, mais aussi d’encourager l’activité de conditionnement et de la professionnaliser en mettant en place des machines, processus, etc.pour faciliter la tâche des travailleurs handicapés. Par exemple, on s’est rendu compte que la pesée était la partie la plus difficile pour eux, donc on a choisi des balances plus performantes qui font la pesée à leur place.

L’activité croît beaucoup à La Fourche, donc on est prêts à intégrer encore de nouveaux travailleurs de l’ESAT ! Notre chance c’est qu’on fait de la logistique, beaucoup d’activités de manutention, autrement dit des tâches adaptées aux travailleurs issus de l’ESAT. Il faut en profiter pour les accueillir !

Du moment où Eric estime qu’ils sont prêts à quitter l’ESAT pour intégrer un milieu de travail ordinaire, et surtout qu’ils en ont émis la volonté, nous on a vraiment à cœur de les intégrer à nos différents métiers.

production à l'ESAT

Eric, comment se passe la prise en charge des travailleurs dans un ESAT ?

Eric : Déjà ils sont accueillis à partir de 20 ans. Il faut aussi qu’ils aient une reconnaissance délivrée par la Maison du handicap selon laquelle leur capacité de travail est inférieure à un tiers de celle d’une personne valide. Ensuite ils envoient une candidature. Ils n’ont pas de contrat de travail mais un contrat d’aide et de soutien. D’ailleurs, on ne parle pas “d’embauche” mais “d’admission”, et du moment qu’ils sont admis dans un ESAT, ils pourront toujours y revenir. On n’exclut pas un travailleur de l’ESAT, sauf acte grave violent ou demande de sa part.

L’ESAT va lui apporter d’une part un travail, et d’autre part un encadrement : un soutien et de la bienveillance, afin qu’il puisse s’épanouir dans son quotidien. La production à proprement parler n’est pas l’objectif absolu, il y a aussi tout l’aspect médico-social. C’est un peu paradoxal : d’un côté on nous demande de produire, de l’autre on nous demande d’accompagner les travailleurs... pas facile de trouver le juste milieu.

Mon objectif c’est la réinsertion des travailleurs. Même s’il ne s’agit que d’un seul travailleur embauché en CDI, je suis déjà très content. Après, tous les travailleurs n’ont pas la volonté d’aller en milieu ordinaire. Certains sont ravis de rester à l’ESAT.

Et combien de temps peut-on rester dans un ESAT ?

Eric : On peut très bien y faire toute sa carrière. J’ai connu des travailleurs entrés à 20 ans et sortis à 60. J’en ai surtout connu qui étaient plus efficaces que des gens valides, de vrais bosseurs ! Et ils n’auraient quitté leur environnement pour rien au monde, ils se sentaient bien dans leur ESAT.

ESAT

"Ca prouve bien l’importance du lien social, avoir un contact avec les autres, se faire des amis, pouvoir sortir avec eux le week-end… ça n’a pas de prix."

Thibaud, Eric, pourquoi est-ce important d’après vous cette réinsertion par le travail ?

Thibaud : Ce n’est que mon point de vue personnel mais je pense que c’est essentiel d’avoir un travail pour être épanoui. D’après moi, lorsqu’on n’a pas de travail, on est vite mis au ban de la société. 

C’est vraiment génial qu’il existe des institutions comme les ESAT car cela permet aux gens d’avoir une activité, un rythme, il y a un véritable lien social, c’est super important ! 

Eric : C’est tout à fait ça, c’est primordial car ça leur permet de se considérer comme des personnes “normales” et de se dire : “j’ai un travail, je me lève tous les matins, je fais l’effort d’y aller, j’ai des horaires, etc”. 

Ce n’est pas du tout une question de salaire, car ils pourraient rester chez eux et gagner la même chose avec les aides (d’ailleurs, le fait de toucher une rémunération de l’ESAT fait diminuer l’allocation à laquelle ils peuvent prétendre). Ca prouve bien l’importance du lien social, avoir un contact avec les autres, se faire des amis, pouvoir sortir avec eux le week-end… ça n’a pas de prix. 

Thibaud : Pour les travailleurs détachés qui arrivent à La Fourche, je pense que c’est gratifiant de savoir qu’ils peuvent collaborer avec des travailleurs ordinaires et arriver à s’intégrer, le tout dans une bonne ambiance. J’ai l’impression qu’ils sont parmi les plus épanouis, ils ne veulent plus retourner à l’ESAT parce qu’ils sont contents d’être ici, où leurs collègues sont devenus leurs amis ! On a vu combien ils étaient enthousiastes et soulagés d’être revenus à l’entrepôt après deux mois d’inactivité liée au COVID.

équipe de La Fourche et de l'ESAT

Eric, à La Fourche, tout se passe bien avec les travailleurs de l’ESAT. Mais quelles ont été les principales difficultés que vous avez rencontrées pour intégrer des travailleurs en milieu ordinaire ?

Eric : On cible les travailleurs que l'on va pouvoir mettre en détachement, on sait qui va être en capacité de tenir le coup. La principale difficulté, c’est qu’ils doivent être suffisamment autonomes. Ce n’est pas possible de détacher des moniteurs pour qu’ils les assistent et les surveillent en permanence. Ca peut être bien de faire un test sur une semaine, pour le travailleur comme pour l’entreprise. Entre leur projet d’aller à l’extérieur et la réalité du terrain, il y a souvent un monde... 

Avec La Fourche ça se passe bien. C'est une entreprise jeune, avec des gens dynamiques et réellement ouverts comme Boris et Thibaud, qui me paraissent très bienveillants. C’est un peu le mot à la mode en ce moment : la bienveillance, la bientraitance, mais ça prend tout son sens dans notre mission

Qu’est-ce qui vous rend fier aujourd’hui dans votre travail ?

Eric : Ma satisfaction c’est le regard que les travailleurs posent sur moi et leur reconnaissance. Quand je retourne dans les ESAT dans lesquels j’ai travaillé, je vois les visages s’éclairer, je me dis qu’au moins j’ai laissé une bonne image.

Mon premier travail c’est de les accompagner au quotidien, d’être là pour eux et de les écouter. Le jour où je partirai finalement à la retraite, après 40 ans à être proche d’eux, ça me fera un gros pincement au cœur.

Thibaud : Avant de rejoindre La Fourche, j’étais sensible à ces questions-là. Je m’étais dit que je voulais faire du business à impact positif et l’inclusion en faisait partie, mais je n’avais jamais touché ça du doigt. A La Fourche, étant investi du projet ESAT, j’ai eu une vraie prise de conscience sur le fait que l’on peut réellement intégrer plein de gens à la société et sur le marché du travail - je pense aussi à notre collaboration avec l’Ecole de deuxième chance - et c’est profitable à tous.

Je n’avais jamais tellement côtoyé de personnes handicapées auparavant et franchement, je m'entends très bien avec eux, on a de vrais échanges et on est toujours contents de se voir. Oui, tout ça me rend fier quelque part.

production à l'ESAT

"On va à l’ESAT 2 à 3 fois par semaine pour encadrer la production, proposer notre aide, c’est très important de montrer que l’on est présents."

Thibaud, vous auriez un conseil à donner à une entreprise qui aurait envie de collaborer avec un ESAT mais qui hésiterait à se lancer ?

Thibaud : Si une entreprise a envie de développer un projet avec un ESAT, alors il faut qu’elle manifeste sa bonne volonté et qu’elle s’implique. Pour être honnête, c’est l’un de nos fournisseurs, Gobi, qui m’avait dit : “Il faut absolument vous impliquer, c’est la clé, allez sur place si vous voulez que ça fonctionne bien !”. 

Au début, on a commis l’erreur de déléguer en gérant le projet de manière trop lointaine. Désormais, on va à l’ESAT 2 à 3 fois par semaine pour encadrer la production, proposer notre aide, c’est très important de montrer que l’on est présents. Non seulement cela humanise la relation de travail, mais c’est aussi le meilleur moyen de vérifier que ce qui est produit nous convient et conviendra à nos adhérents.

Pourriez-vous me donner 3 mots, 3 valeurs symboliques pour définir la mission de l’ESAT ?

Eric : L’ESAT c’est un ACCOMPAGNEMENT, par le TRAVAIL, avec BIENVEILLANCE.

Thibaud : INSERTION, HUMAIN, et j’hésite sur le troisième. Je pourrais dire DÉCOUVERTE mais je vais rester cohérent avec mon conseil et dire IMPLICATION. 

Ou inattendu ? Parce que l’on vit parfois des situations cocasses à être entouré de 150 travailleurs qui ont tous une pathologie différente et des caractères bien différents. Par exemple, comme je fais assez jeune, ils adorent me demander mon âge quand ils me rencontrent, ce n’est pas si fréquent en général ! (rires)

thibaud et eric

Pour finir, à quoi rêvez-vous pour l’avenir ?

Eric : Je rêve que l’ESAT continue à développer des partenariats avec différentes entreprises, toujours plus en faveur de l’inclusion. 

Ce qui me préoccupe c’est que les gens soient de plus en plus en situation de précarité. Il y a 20 ou 25 ans on pensait que les Restos du cœur allaient tenir 2 ans, et maintenant, ils sont ouverts toute l’année. Ce n’est pas normal que des gens puissent encore mourir de faim. Les politiques ne me paraissent pas assez investis sur ce genre de problèmes.

Thibaud : Ce que l'on peut essayer de faire, et qu’Eric a fait toute sa vie : créer des alternatives saines et durables, porteuses de sens. Ce n’est qu’un début de réponse, mais ça donne de l’espoir.

C’est important que les personnes qui sont exclues du marché du travail comme les personnes handicapées aient une activité. C’est formidable qu’il y ait des gens comme Eric. C’est aussi ce qu’on essaye de construire à La Fourche, au travers de nos partenariats avec l’ESAT des Muguets, l’E2C du 93 et Emmaüs défi. Pendant le confinement, on s’est aussi investis aux côtés de l’association ACLEFEU, en les épaulant pour l’organisation de distributions alimentaires. On a mis en place une cagnotte qui nous a permis de récolter pour 10 000€ de nourriture.

Au-delà de notre engagement pour le bio, on a la chance d’avoir une activité de logistique extrêmement génératrice d’emplois, à nous d’en profiter pour encourager au maximum les logiques d’inclusion !

Eric dresse un bilan très négatif mais si on regarde sa carrière professionnelle, il a déjà beaucoup participé à construire des choses qui vont dans le bon sens. En fait mon rêve pour le monde demain, c’est qu’il y ait plein de nouveaux Eric. En tout cas c’est sûr, il va en falloir !

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