Partenariat Ecole de la deuxième chance x La Fourche : interview de Thomas et Boris
Par Valentine Le vendredi 12 février 2021
Bonjour Thomas, pourriez-vous vous présenter, ainsi que l'École de la deuxième chance (E2C) en quelques mots, et me dire ce qui vous y a conduit ?
L’E2C est un centre de formation qui propose une formation individualisée à des jeunes de 18 à 25 ans en situation de déscolarisation, de décrochage et qui n’ont ni diplôme ni qualification. C’est un système d’alternance entre des cours de remise à niveau (en français, en maths, en philo, en connaissance du monde contemporain, etc.) qui ont lieu ici à La Courneuve, et des stages de 3 semaines en entreprise. On a un objectif, réussir leur réinsertion professionnelle, et 10 mois pour le réaliser.
Pour ma part j’ai 45 ans, j’ai commencé en tant que commercial et j’ai progressivement basculé dans le social. Je me plaisais dans mon travail, parce que j’adorais le contact avec les gens, mais il me manquait quelque chose. J’ai eu l’opportunité de faire mon service militaire dans un service civil, là j’ai commencé à travailler avec des personnes handicapées : j’ai eu un déclic.
J’ai suivi une formation d’éducateur spécialisé qui m’a amené à travailler auprès de tous les publics pendant une dizaine d’années : des enfants, ados, jeunes adultes, des personnes sans domicile fixe, des toxicomanes aussi. J’ai été chargé de mission, puis responsable d’un atelier chantier d’insertion. Le secteur de l’insertion professionnelle me tentait bien, avec un aspect formation, pour apporter du concret.
"Si je m’épanouis beaucoup dans mon travail aujourd’hui, c’est aussi parce que je peux voir ce que je produis réellement, le résultat de mes efforts se réaliser sous mes yeux."
Dans le social en temps normal, on ne voit pas tout de suite la valeur de ce que l'on produit. Si je m’épanouis beaucoup dans mon travail aujourd’hui, c’est aussi parce que je peux voir ce que je produis réellement, le résultat de mes efforts se réaliser sous mes yeux. Depuis 4 ans, je suis à la fois formateur chargé des relations école-entreprises (ce qui me permet de mettre encore à profit mon expérience dans le commerce, notamment quand j’aide les élèves à trouver un stage), et responsable du site E2C de la Courneuve.
Globalement, avec mes associés Nathan et Lucas, c’est la dimension éthique qui est primordiale pour nous à La Fourche. On essaye de suivre une ligne de conduite, au quotidien ça peut prendre plein de formes différentes comme le recyclage, la gestion des déchets par exemple.
Mais au-delà de ça, c’est vrai qu’un des aspects liés à cette éthique, le social, me parlait particulièrement de par mon histoire familiale. Mon père avait créé une association de reconversion pour les SDF et les anciens détenus (il y avait une prison pas très loin de chez nous, dans l’Indre) pour leur permettre de remettre le pied à l’étrier. Il avait monté une pépinière d’entreprise et faisait de la réinsertion professionnelle via l’horticulture. Ca permettait aux gens d’apprendre à planter des légumes et de repartir avec à la maison le soir. J’ai toujours eu envie de faire la même chose.
Le hasard faisant bien les choses, au moment de créer La Fourche, on s’est installés à la Pépinière de la Courneuve. Soit la porte à côté de l’E2C. On recherchait des stagiaires, et j’ai rapidement rencontré Thomas.
"La partie que je dirige à La Fourche, les opérations, se prête particulièrement bien à l'insertion professionnelle pour les jeunes qui cherchent du boulot en logistique ou en préparation de commande."
Autre hasard : la partie que je dirige à La Fourche, les opérations, se prête particulièrement bien à l'insertion professionnelle pour les jeunes qui cherchent du boulot en logistique ou en préparation de commande. On a pris un premier stagiaire à l’époque, puis un autre, etc. Avant le COVID, j’avais un nouveau stagiaire de l’E2C tous les 2 mois. Dans la majorité des cas, ça se passe très bien.
Thomas, pouvez-vous me dire comment se passe la prise en charge des élèves à l’E2C ? Il me semble qu’une place très importante est accordée à leur suivi, personnalisé, tout au long de ces 10 mois mais aussi après.
Au départ, ils sont orientés vers l’E2C par les missions locales, Pôle emploi, ou des associations. Cette première étape n’est pas évidente, car les jeunes ont souvent une grande crainte vis-à-vis de ces institutions et leur tournent le dos.
A partir du moment où ils se lancent et franchissent notre porte, on fait un premier entretien pour évaluer leur motivation et discuter de leurs attentes professionnelles mais aussi de leur situation personnelle. On leur attribue un formateur référent et ensemble ils vont convenir d’un parcours adapté. Tout le monde n’a pas le même niveau, alors on ajuste en fonction de chacun. Tous les modules d’enseignement sont obligatoires, car il faut apporter un cadre rigoureux, mais personnalisés. Les stagiaires ont aussi la possibilité d’être suivis par un psychologue.
Même une fois qu’ils quittent l’E2C (et ils peuvent partir quand ils le souhaitent, à partir du moment où ils ont trouvé une formation ou un emploi qui leur convient), on continue à les suivre, on fait un “post parcours” pendant un an. On les appelle, on en profite pour demander des nouvelles, savoir si tout se passe bien là où ils sont, s’ils ont besoin d’un coup de main… Parfois, on apprend même des naissances !
Ce n’est pas évident de trouver le juste milieu entre accompagnement et autonomie. Je me définis souvent comme un passeur de rive. J’essaye de toujours rester juste avec les stagiaires, dans toutes les décisions que je peux prendre. Je les concerte, je leur demande si l’accompagnement leur convient. Parfois, c’est vraiment de la broderie ! Et ça demande beaucoup de patience, d’efforts et d’abnégation. Par moment c’est épuisant, ils sont encore parfois très jeunes (Boris est sûrement d’accord avec moi sur ce point), mais c’est vraiment passionnant.
Thomas, quelles sont les filières les plus plébiscitées par les stagiaires de l’E2C ?
Quand ils arrivent, les filières classiques. Pour les femmes, la petite enfance, et pour les hommes, employé libre service ou dans le bâtiment. Honnêtement, nous on se bat contre ça, on fait en sorte de leur montrer qu’il y a d’autres horizons et qu’ils peuvent réellement toucher autre chose que des stéréotypes.
On travaille là-dessus en aménageant notre fonctionnement et notre offre de formation. On fait venir plus d’entreprises, on monte des événements collectifs et culturels, etc. L'E2C de La Courneuve évolue dans ce sens-là et s’est beaucoup ouverte à l'extérieur ces dernières années.
Par exemple, dans notre approche pédagogique, à côté des enseignements plus traditionnels, on organise des ateliers théâtre grâce à une comédienne qui vient à leur rencontre. C’est toujours une expérience enrichissante parce qu’ils gagnent en aisance et ça se ressent ensuite dans leurs entretiens d’embauche. Toujours à propos de théâtre, on a un partenariat avec le Théâtre de la Commune à Aubervilliers.
En fait, on agrémente le parcours du stagiaire de plein de façons. Via le sport aussi, avec des séances d’escalade et de remise en forme, au stade de Saint Denis. A travers toutes ces activités, on travaille le savoir être, la confiance en soi, et ça passe aussi par des exercices de coaching avec des entreprises, comme récemment à distance avec Veepee, la BNP ou encore HSBC.
Boris, La Fourche a déjà accueilli plusieurs stagiaires de l’E2C, dont certains que tu as ensuite embauchés. Tu ressens tout cela dans leur formation ?
Absolument, et ça participe au plaisir que j’ai à les accueillir ! Exemple tout bête mais très important : le respect des horaires. C’est marqué chez les jeunes de l’E2C que j’ai accueillis en stage puis embauchés en CDD - certains n’arrivent absolument jamais en retard.
"Quand ils arrivent à La Fourche, on sent une réelle envie d’apprendre et de trouver un travail. Ils ont envie d’avancer. Ils ne disent jamais non à faire une heure supp’, à travailler un jour férié ou un samedi"
Je dirais aussi que je ressens beaucoup de motivation en eux, encore plus que chez les autres, et il en faut pour faire ce qu’ils font, ce n'est pas un job facile. Je pense que c’est lié au fait qu’ils ont eux-mêmes initialement fait la démarche de se rapprocher de l’E2C, de venir à l’école pour construire un projet pro et se conformer à ce que l’on attendait d’eux. C’est quand même un gros challenge, devoir trouver 1 stage toutes les 3 semaines pendant 10 mois.
Quand ils arrivent à La Fourche, on sent une réelle envie d’apprendre et de trouver un travail. Ils ont envie d’avancer. Ils ne disent jamais non à faire une heure supp’, à travailler un jour férié ou un samedi, pour les paraphraser : “ils sont chauds” !
Thomas, Boris, qu’est ce qui vous rend fiers aujourd’hui dans votre travail ?
Thomas : Tout simplement quand ils arrivent à trouver un emploi, une formation. On a une boucle Whatsapp sur laquelle ils reviennent vers nous après avoir trouvé un boulot, en disant parfois “ça a été dur, vous m’avez poussé, mais merci, grâce à vous j’ai pu faire telle ou telle chose”. Un remerciement de leur part, c’est sûrement ça ma plus grande fierté. Et puis leurs témoignages, au moment des pots de départ… c’est poignant, plus d’une fois j’ai eu du mal à retenir une larmichette !
Boris : Moi ça me rend super fier de pouvoir aider ces jeunes. De les accueillir au sein de La Fourche d’abord, puis de les aider à se réinsérer. C’était une envie forte au départ et à chaque fois que l’un d’entre eux signe un contrat avec nous, je suis ravi.
Je fais des entretiens trimestriels avec chacun de mes employés, qu’ils viennent de l’E2C ou non, et je leur demande toujours s’ils sont heureux au travail. Quand l’un des anciens stagiaires de l’E2C me dit qu’il est super content, que La Fourche est la meilleure chose qui ait pu lui arriver, ça me rend effectivement très fier. Venant de n’importe lequel de mes salariés d’ailleurs, mais en particulier quand c’est quelqu’un qui n’a pas nécessairement eu un début de vie facile, on se dit que ça sert à quelque chose, que ça a du sens tout ce que l’on fait.
Thomas, pourriez-vous décrire l’E2C en 3 mots ? Même question pour vous Boris, à propos de La Fourche !
Thomas : Apprentissage / Respect / Bienveillance / Insertion
Ca fait 4 oui, mais je tiens à rajouter Insertion. C’est ce qu’ils visent en venant ici, car c’est le plus important pour eux : ils veulent avant tout un travail, pour avoir une place dans la société. La plupart des jeunes qui font appel à nous cherchent une solution rapide, il y a urgence. C’est aussi ça de travailler dans le 93.
Boris : Si je devais donner 3 valeurs chères à La Fourche en général et les valeurs qui fédèrent l’entrepôt en particulier, je dirais: Éthique / Travail / Respect.
Thomas, un conseil à donner à quelqu’un qui voudrait rejoindre l’E2C ?
Appelez-nous, venez faire l’entretien d’admission pour vous faire votre propre idée. C’est comme partout, faut pas rester devant la vitrine, faut entrer dans le magasin !
Boris, un conseil pour un stagiaire de l’E2C qui voudrait effectuer un stage à La Fourche ?
Quand je les ai au téléphone avant le début du stage, je leur donne toujours les mêmes conseils : 1. arriver à l’heure, 2. être motivé. Tout le monde est à égalité, je me moque de ce qu’ils ont fait avant. Finalement gérer l’E2C, comme gérer l’entrepôt, ça nécessite une approche du management particulière, exigeante mais juste et équitable pour tout le monde.
Thomas, Boris, à quoi rêvez-vous pour l’avenir, qu’auriez-vous envie de transmettre aux générations futures ?
Thomas : En ce qui me concerne je vois la génération future à travers les yeux de mes enfants. Je leur dis de travailler dur et de prendre un peu plus soin les uns des autres, de l'environnement aussi. Avec les stagiaires de la Courneuve on a fait un potager juste devant la porte, ils adorent ça ! On a récolté des tomates, des courgettes, des haricots, des oignons,… en plein cœur de la cité des 4000 !
Boris : Nous aussi à l’entrepôt on a un potager ! Je continue de faire en sorte que mes employés s’y intéressent - je leur fais planter des échalotes, des salades, on commence à manger les premières framboises - c’est vraiment une mission pédagogique géniale !
Thomas : C’est peut-être des rêves pieux, mais on peut vraiment souhaiter plus d’acteurs engagés comme Boris et ses compagnons, plus de vertueux pour l’avenir.
Boris : Je reprendrais un mot de Thomas : la bienveillance. C’est quelque chose que j’ai envie de léguer car que ce soit vis-à-vis des autres ou de la Terre, je crois que c’est la solution à pas mal de problèmes. C’est peut-être un peu naïf dit comme ça, mais avec de la bienveillance, tu penses à l’autre, tu pardonnes aussi les erreurs, tu te projettes vers un avenir meilleur… je crois que c’est essentiel.