L’interview « Prenez-en de la graine ! » de Zao
Par Sarah Le mercredi 25 août 2021
On se dit tout ! Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Que faites-vous ?
Moi c’est David, fondateur de Zao, j’ai 54 ans et j’ai une formation d’ingénieur Arts et Métiers. J’ai débuté ma carrière en faisant de l’humanitaire pendant la guerre de Bosnie entre 1992 et 1993. À mon retour, j’ai été ingénieur R&D dans différentes industries puis j’ai eu une proposition en 2000 pour diriger une usine de fabrication de maquillage conventionnel à Valence, ma région natale. Nous travaillions pour d’autres marques en sous-traitance. Un jour, la marque L’Occitane nous a demandé de fabriquer une palette d’ombres à paupières en imposant du beurre de karité dans la composition, c’était la première fois qu’une matière végétale entrait dans cette usine et c’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser à ce sujet.
En 2002, j’ai donc cofondé la marque Couleur Caramel avec seulement des formulations naturelles. Dans le conventionnel, on utilise des silicones, des agents adoucissants, du teflon, de la parafine, du nylon alors il a fallu trouver d’autres techniques pour pouvoir offrir des produits comparables. En 2004, nos produits de maquillages ont été les premiers au monde à être certifiés ECOCERT. Petit à petit, j’ai eu des désaccords avec mon associé et j’ai décidé de quitter Couleur Caramel avec en tête l’idée d’une marque à base de bambou. J’avais envie de faire différemment du carton sans tomber dans le métal qui pèse trop lourd. J’avais également déjà travaillé avec des formulations à base d’extraits de bambou. Le bambou est l’une des plantes les plus riches en silice organique avec 70% de silice organique. Fin 2010, j’ai monté un premier atelier avec 3 personnes puis on a lancé Zao début 2012.
"Dans le conventionnel, on utilise des silicones, des agents adoucissants, du teflon, de la parafine, du nylon alors il a fallu trouver d’autres techniques pour pouvoir offrir des produits comparables. En 2004, nos produits de maquillages ont été les premiers au monde à être certifiés ECOCERT. "
Zao, c’est la contraction de “Zen” et de “Thao”, un nom qui évoque l’Orient. Beaucoup de nos ingrédients sont d’origine asiatique comme la poudre de riz qui nous permet d’éviter le talc. Ensuite, il y eu beaucoup d’évolutions. On est passé d’une marque avec 40% de produits rechargeables à plus de 80% aujourd’hui. On emploie 25 personnes au siège qui est situé dans le nord de la Drôme et 22 personnes sont sur le terrain pour gérer la partie commerciale. On a deux filiales, une en Suisse et l’autre en Italie. Au début on vendait aux instituts de beauté et rapidement on a intégré les magasins bio.
On a aussi fait une joint-venture en Chine avec une usine qui fabrique des articles en bambou pour distribuer la marque. Pour éviter les tests sur les animaux, on envoie en Chine du vrac et on peut ainsi contourner la législation car elle ne s’applique pas si on mélange les matières une fois sur place.
On a une gamme très large avec plus de 150 références : produits pour le teint (poudre, BB cream, fond de teint fluide et compact, correcteur, base, fard à joue, etc.), pour les yeux (mascara, eye liner, fard à paupières, crayon, sourcil, etc.), pour les lèvres et tous les accessoires (pinceau, éponge, etc.).
Aujourd'hui, la plus grosse contrainte c’est sur le rouge carmin. On n’arrive pas à trouver des pigments végétaux équivalents même si on travaille d’arrache-pied dessus. Le carmin est issu de la cochenille, un insecte qui vit sur les cactus en Amérique Latine, il est obtenu en ébouillantant la femelle pour qu’elle sécrète cet acide très rouge. C’est un pigment très utilisé en alimentaire aussi, dans les fraises tagada ou encore la saucisse de Strasbourg. Une autre contrainte c’est sur le waterproof, on n’y est pas encore avec les formulations végétales.
Où et comment sont fabriqués vos produits ?
80% de notre fabrication est faite en Italie, dans un labo près de Milan puis les 20% restants sont faits en France dans notre unité de production située près de Lunel. Nous faisons l’emballage en bambou en Asie car il y a une grande tradition là-bas avec des techniques qui existaient déjà au Moyen-Âge.
Il y a trois grandes familles de produits : les pâteux, les secs et les émulsions (eau et huile) qui répondent à des procédés de fabrication et de conditionnements bien différents.
En amont, 3 personnes font de la R&D, on travaille un cahier des charges avec les matières premières. Cela fait 20 ans que l’on travaille avec l’usine en Italie, on est là-bas tous les mois pour suivre le développement des produits, parfois ce sont même eux qui proposent des nouveautés.
C’est moi-même qui dessine le packaging qui est ensuite fabriqué en Chine où une dizaine de personnes travaillent. On sort une vingtaine de nouveaux produits par an.
Pour l’approvisionnement des matières premières, il y a très peu d’acteurs en bio en comparaison aux savonneries ou produits cosmétiques donc encore peu de fabricants. Ils viennent nous présenter leurs nouveautés, par exemple les pigments à partir de pommes de terre rouge, de betterave, etc. même si ce n’est pas toujours concluant.
"La fabrication du maquillage c’est vraiment une boîte noire, on ne sait pas ce qu’il y a dedans, on sait juste l’effet que cela fait."
Pourquoi avoir choisi le bio ?
J’ai vraiment eu une révélation dans l’usine en Occitanie. La fabrication du maquillage c’est vraiment une boîte noire, on ne sait pas ce qu’il y a dedans, on sait juste l’effet que cela fait. C’est assez préoccupant car il s’agit de produits que l’on s’applique sur le visage, qui ne sont pas rincés et qui restent sur le visage toute la journée !
Pourquoi devrait-on tous se mettre au bio ?
Il y a deux aspects fondamentaux :
- environnemental : l’agriculture conventionnelle est une source de pollution importante des sols.
- santé : dans toutes nos formulations on va encore plus loin que le bio et on s'intéresse à la valeur cosmétique des produits. Par exemple, le beurre de coco est un produit intéressant mais très comédogène donc il vaut mieux le réserver aux lèvres. Nous avons développé 3 extraits à base de bambou qui est une plante très riche en silice organique. Cette dernière est un élément dont nous sommes constitués en très grande quantité et qui est indispensable pour la production de collagène, qui permet l'élasticité de la peau. Cette silice organique on ne peut pas l’avoir avec des matières synthétiques.
Chez Zao, tous nos produits sont 100% naturels alors que dans les cosmétiques bio c’est souvent 95% et 5% de conservateurs. Nous on utilise un conservateur naturel très connu qui est la poudre argent. Ça augmente un peu le prix de la formulation mais c’est naturel, en plus d’être antiseptique (et donc de convenir à toutes les peaux y compris celles à tendance acnéique).
"Chez Zao, tous nos produits sont 100% naturels alors que dans les cosmétiques bio c’est souvent 95% et 5% de conservateurs. Nous on utilise un conservateur naturel très connu qui est la poudre argent."
Vous faites quoi pour limiter votre impact carbone ?
Tous nos produits ont la particularité de fonctionner via un système de recharges, vous n’avez pas à jeter à chaque fois l’emballage !
Cette année dans les points de vente physiques nous avons mis à dispo des eco box, les clients peuvent déposer les recharges usagées et derrière on met en place tout un système de revalorisation des déchets dans un rayon de moins de 200 km autour de chez nous. Par exemple, des plasticiens utilisent nos matériaux pour des sculptures urbaines à Lyon.
Aujourd’hui, nous sommes présents dans une cinquantaine de pays, on a un certain impact avec toutes les expéditions mais on travaille depuis longtemps pour le réduire au minimum. On organise un conteneur par mois, on utilise le transport maritime. Par ailleurs on expédie de petits produits donc l’impact est minime, un rouge à lèvres ça pèse 3 grammes !
Qu’est-ce qui vous rend fier ?
Que les gens qui travaillent ici aient la banane. Nous avons tous des rapports amicaux, j’ai des liens de plus de 20 ans avec certaines personnes. Notre siège est situé dans la Drôme, à Génissieux, on a racheté une vieille ferme au milieu des champs en 2015 que l’on a restauré. C’est un lieu de vie dont tous les employés ont la clé, ils peuvent venir le weekend, profiter de la piscine et organiser des fêtes privées, y compris des mariages. Pour moi le modèle de l’entreprise est aussi important que les produits que nous faisons.
"On a racheté une vieille ferme au milieu des champs en 2015 que l’on a restauré. C’est un lieu de vie dont tous les employés ont la clé, ils peuvent venir le weekend, profiter de la piscine et organiser des fêtes privées, y compris des mariages."
C’est quoi votre combat ?
Convaincre les gens de manger moins d’animaux. Je ne suis pas donneur de leçon mais je ne pense pas que le monde puisse continuer comme ça avec ce genre de consommation. Je ne crois pas qu’avec le COVID nous changions profondément notre façon de faire et j’ai bien peur qu’il nous faille des épisodes bien plus dramatiques que ça pour changer. J’essaie d’être exemplaire. Notre entreprise ce ne sont pas que des beaux discours, la cohérence c’est important.
À quoi rêvez-vous pour l’avenir ?
Déjà, si les gens décidaient à l'échelle planétaire de ne plus élever des animaux pour les manger, ça pourrait régler beaucoup de problèmes dans le monde, notamment la faim. On pourrait prospérer ainsi encore longtemps avec la nature et les animaux.
Qu’est-ce que vous aimeriez transmettre aux générations futures ?
Une forme d’exemplarité, se dire que c’est possible de travailler avec des valeurs, de la bienveillance et de la confiance. Ce n’est pas vrai qu’il faut être dur dans le monde du travail, que le chef doit être dur.
C’est tout simple ! 3 mots pour décrire votre marque ?
Belle, naturelle et cohérente.
C’est quoi votre produit chouchou ?
Alors je ne me maquille pas mais mon produit préféré est le shine-up, un enlumineur très agréable et je trouve que quand ma copine en met c’est très beau.
Un petit tip pour utiliser vos produits ?
Je ne suis pas maquilleur, même si je commence à connaître pas mal de choses. Je vous invite à aller visiter notre site, c’est une vraie mine d’informations sur tous nos produits, leur utilisation et des usages un peu différents de ceux auxquels on s’attend.
Un petit truc à partager ?
Je viens de finir un livre qui s’appelle “Réparer les vivants”, je l’ai adoré ! Ca m’a beaucoup touché.