L'interview "Prenez-en de la graine !" de Pépite
Par Sarah Le mercredi 25 août 2021
On se dit tout ! Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Que faites-vous ?
Moi c’est Philippe, j’ai 48 ans, agronome de formation et j’ai créé Pépite en 2004, une société basé à Aix-en-Provence qui importe des fruits secs.
À l’origine, ce qui m’a porté c’est une envie d’aller à la rencontre des producteurs dans le monde entier et de construire de vrais partenariats avec eux. À l’époque on avait des méthodes de commerce classiques, des relations purement commerciales où on ne discutait que de prix en oubliant bien souvent l’humain. Avant Pépite, j’ai travaillé en tant qu’acheteur en fruits secs dans le conventionnel et j’ai fini écoeuré par les méthodes d’achat : on avait un téléphone sur chaque oreille et notre but c’était de faire baisser les enchères en direct avec les fournisseurs.
J’ai donc pris mon sac à dos et je suis parti en Asie du Sud Est avec l’idée d’aller à la rencontre des producteurs et de créer des partenariats sur le long terme. Cet aspect est fondamental pour les agriculteurs, les vergers mettent longtemps à devenir productifs donc c’est important qu’ils sachent qu’ils peuvent compter sur nous chaque année. On est présent pas que pour le commerce mais aussi pour les accompagner techniquement et financièrement. On va résoudre des contraintes techniques comme le stockage par exemple et on va aussi leur prêter de l’argent. Dans les fruits secs, pendant la récolte, les producteurs font appel à des saisonniers, ça a un coût sachant que les entrées d’argent ne se feront qu’une fois les fruits récoltés, séchés et vendus.
Notre premier partenariat a débuté en Turquie. La Turquie a une tradition de séchage de fruits au soleil très forte c’était donc tout naturel de commencer par là. Aujourd’hui, on travaille avec 17 pays et une 40aine de filières.
Autre aspect important de Pépite, on travaille beaucoup avec des pays du Sud donc quand je me déplace, je suis confronté à toutes les problématiques de ces pays, la précarité, les problématiques sociales, sociétales et environnementales. Au delà du commerce, on va s’intéresser, à notre petit niveau, à comment leur apporter des solutions. Par exemple on a des programmes au Sri Lanka et au Vietnam pour développer la biodiversité, au Rwanda on va trouver des solutions pour acheminer l’eau dans les villages etc.
"On visite régulièrement les filières, on ne fait pas de commerce par téléphone. On commence toujours par rencontrer les producteurs et discuter avec eux de comment on voit l’avenir."
Où et comment sont fabriqués vos produits ?
Les fruit secs sont originaires du bassin méditerranéen (Turquie, Syrie, Israël, Maghreb, Espagne, Italie). Le climat permet de produire des fruits frais et d’ensuite les sécher au soleil. Dans cette zone il y a une vraie tradition du séchage fruits. On travaille aussi avec des fruits plus exotiques qui viennent du Sri Lanka, des Philippines ou encore d’Equateur.
On visite régulièrement les filières, on ne fait pas de commerce par téléphone. On commence toujours par rencontrer les producteurs et discuter avec eux de comment on voit l’avenir. Le projet ne s’arrête pas le jour où on commence à importer, au contraire, il faut le faire vivre.
Les fruits ce sont les agriculteurs qui les cultivent, les récoltent et les font sécher au soleil. Ils sont ensuite collectés dans des ateliers de production ou des petites usines où on va les laver, les nettoyer, les trier, les calibrer, retravailler la qualité pour ensuite pouvoir les distribuer en France.
La dernière étape est faite dans un site de conditionnement situé à côté de Lyon. On a une 12aine d’employés qui fabriquent tous les sachets et les mélanges.
Pourquoi avoir choisi le tout bio ?
Pour les valeurs humanistes, le respect des agriculteurs qui signifie forcément le respect de leurs terres mais aussi la santé des agriculteurs et leur juste rémunération. Le respect de tout ça est aux fondements de la bio et c’était donc une évidence dès le début pour moi, c’est dans l’ADN de l’entreprise. On fait du bio ++, au delà des pesticides, on a une approche très holistique de la bio où on prend en compte l’humain.
Aujourd’hui tous nos produits sont en bio mais on aide les producteurs qui ne le sont pas encore à trouver des circuits pour écouler leur stock pendant les 3 années où ils vont se convertir au bio, on les accompagne.
"On a besoin d’une alimentation plus naturelle, plus simple et plus respectueuse de la planète."
Pourquoi devrait-on tous consommer bio ?
Pour l’aspect santé notamment. On constate une explosion des problèmes de santé liés à l’environnement. On a besoin d’une alimentation plus naturelle, plus simple et plus respectueuse de la planète. Le bio est la réponse à la demande plus ou moins consciente des consommateurs qui ont vu les limites du développement intensif de l’agriculture conventionnelle et de l’industrie agroalimentaire.
Vous faites quoi pour limiter votre impact carbone ?
À titre professionnel, il faut savoir que tous nos fruits secs sont transportés par bateau. Si on fait le rapport kilo transporté / CO2 on émet très peu de CO2. L’atout de notre secteur, c’est qu’on transporte des fruits séchés qui sont des concentrés de nutriments. Le rapport nutriments / CO2 est très intéressant en comparaison avec des fruits frais. Aujourd’hui on a plus de 200 fruits différents dans notre catalogue et on peut y trouver tous les nutriments. On pourrait donc se nourrir seulement de fruits secs.
On va aussi être exigeants sur le choix de nos partenaires. Avant de lancer un projet on va étudier son empreinte locale. L’amande par exemple a mauvaise presse car la plupart des amandes viennent de Californie où on irrigue énormément les champs. Nous, on a choisi l’Espagne pour les amandes, dans la région d’Alicante, dans une vallée où il y a une forte tradition de production d’amandes, seulement 10% des vergers sont irrigués. 90% de nos amandes proviennent donc de vergers non irrigués, notre consommation d’eau est très raisonnable ! Autre exemple, notre raisin vert du désert de Taklamakan, on avait aussi réussi à le trouver en Iran mais, en discutant avec les producteurs, on s’est rendu compte que les vignes dans cette région asséchaient les nappes phréatiques. On a refusé de participer à ça.
Sur le packaging, on y travaille mais on a des contraintes fortes. Le fruit sec, même une fois séché, reste un fruit et donc un produit vivant, on a besoin de films barrières pour le protéger de l’oxydation, de la lumière, etc. On travaille sur différents matériaux pour réduire au maximum l'épaisseur de l’emballage, pour limiter son poids tout en gardant les propriétés de barrière.
Enfin, on construit de nouveaux bureaux écologiques où on va privilégier le bois, les panneaux photovoltaïques, la géothermie. Le bâtiment sera labellisé BDM (Bâtiment Durable Méditerranéen)
Sinon, à titre personnel, je mange bio, je suis végétarien en semaine et je roule en hybride.
Qu’est ce qui vous rend fier ?
Ma grosse source de satisfaction c’est de travailler depuis plusieurs années avec plus de 5 000 producteurs dans le monde. Savoir que l’on a amélioré leur quotidien, le leur mais aussi celui de leurs familles. Savoir aussi que les 33 salariés de mon entreprise viennent tous les matins avec la banane, j’ai une vraie équipe fédérée et motivée par ce projet.
Je suis aussi très fier d’avoir réussi à créer une entité économique rentable en mettant l’humain au coeur du modèle. Cela montre qu’il y a de la place pour d’autres modèles. Chez Pépite on était un peu avant gardistes. Je n’ai pas inventé le commerce équitable mais à l’époque c’était assez atypique, beaucoup de gens m’ont découragé. Il y a une belle accélération depuis 5-6 ans, on sent que les choses changent.
"Aujourd’hui il y a un vrai enjeu à développer un modèle d’agriculture pérenne et rentable avec des agriculteurs qui gagnent décemment leur vie et qui sont capables de transmettre leur patrimoine à leurs enfants."
C’est quoi votre combat ?
Aujourd’hui il y a un vrai enjeu à développer un modèle d’agriculture pérenne et rentable avec des agriculteurs qui gagnent décemment leur vie et qui sont capables de transmettre leur patrimoine à leurs enfants. Je le vois quand je me déplace dans les filières, dans les villages dans lesquels on travaille, des personnes très âgées y vivent, leurs exploitations sont laissées à l’abandon car leurs enfants vont faire des études à la ville et ne veulent pas revenir au village où leurs parents ont connu une vie précaire faite de durs labeurs.
Aujourd’hui on fait face à un problème majeur, qui sera l’agriculteur de demain capable de nous nourrir ? Je vois cette problématique à un horizon très proche, les agriculteurs deviendront trop rares pour pouvoir nous nourrir. Ils doivent retrouver cette joie de produire de la nourriture pour les hommes avec un niveau de vie à la hauteur de leur engagement. Ce problème est moins marqué aujourd’hui en bio qu’en conventionnel car le bio a plus le souci de construire un modèle gagnant-gagnant.
À quoi rêvez-vous pour l’avenir ?
Aujourd’hui il faut que les gens réalisent que par leur consommation et leurs actes d’achat ils peuvent changer le monde, il ne faut pas toujours attendre que les solutions viennent des politiques. Chacun par son comportement individuel peut arriver à changer le monde. Parmi nos clients, je vois une jeune génération avec une vraie curiosité d’esprit et qui, quand elle consomme, va aller chercher l’information. Cette génération internet demande et cherche des prix plus justes, elle veut de la traçabilité. On a tendance à dire que les jeunes n’ont pas de pouvoir d’achat donc qu’ils veulent des prix bas mais moi je vois l’inverse, ils sont prêts à consommer moins mais mieux, prêts à payer le prix. Ils ont une attitude beaucoup plus vertueuse que ma génération, qui a été élevée aux courses du weekend à l’hypermarché. Les jeunes se posent des questions et c’est assez porteur d’espoir.
Qu’est ce que vous aimeriez transmettre aux générations futures ?
Je souhaiterais leur dire qu’ils se prennent en charge car leur avenir leur appartient, il ne faut pas tout attendre du politique. Eux individuellement, peuvent changer les choses et vu l’urgence de nos problèmes sur cette planète, j’ai vraiment espoir qu’ils arrivent à changer les choses.
C’est tout simple ! 3 mots pour décrire votre marque ?
Bon, bio et équitable
C’est quoi votre produit chouchou ?
Les amandes pralinées, faites par un petit artisan et sa femme en Espagne. Il a un petit atelier avec une 15aine de poêles dont il fait évaporer le sucre au fur et à mesure. Dans sa recette il n’y a que du sucre et des amandes, (pas de laque ni de colle pour faire tenir), c’est très artisanal.
Un petit tip pour utiliser vos produits ?
Les usages des fruits secs sont multiples, en cuisine, en apéritif, pour les sportifs et les écoliers en encas. Moi j’ai tendance à dire que le fruit sec reste un produit vivant qui perd de l’eau. Tous nos fruits secs sont ensachés dans des sachets zippables. Il faut bien les conserver dans ces sachets ou dans des contenants tupperware pour les préserver de l’air et de l’humidité afin qu’ils évoluent le moins vite possible. Sinon les consommer rapidement, c’est le meilleur conseil ! De toute façon c’est tellement bon pour la santé… on aurait tort de s’en priver !
Un petit truc à partager ?
J’ai un ami iranien avec qui j’ai échangé il y a quelques semaines, j’ai beaucoup appris en discutant avec lui, il m’a expliqué ce que vivait le peuple iranien aujourd’hui. Cela fait beaucoup réfléchir sur la chance qu’on a de vivre dans un pays en paix, sur la valeur de la paix et la souffrance qu’on peut infliger à peuple. C’est une conversation qui m’a marquée, cela prend une autre dimension de voir les choses à la télé et d’écouter ce que les gens expriment.