L’interview "Prenez-en de la graine" de Celnat
Par Sophie Le vendredi 26 mai 2023
On se dit tout ! Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Que faites-vous ?
Bonjour, je suis Judicäel, nutritionniste de formation.. Faire de la nutrition son métier n’était pas évident il y a 15 ans. À l’époque, il n’y avait pas d’informations nutritionnelles comme aujourd’hui sur les emballages, ce n’était pas obligatoire.
Ensuite, j’ai saisi l’opportunité de rejoindre Celnat, ce qui présentait pour moi 2 avantages :
Pouvoir prendre en charge le développement du produit dans son intégralité, de la matière première agricole jusqu’au conditionnement et surtout une totale délivrance du point de vue de la cohérence avec mes convictions. Quand j’ai choisi à l’âge de 10 ans d’être végétarien, j’ai dû faire face à une grande incompréhension de la part de ma famille, mais aussi à l’école. Chez Celnat, c'est dans l’ADN de l'entreprise d’être végétarien.
Celnat a été créée en 1979 par les frères Celle, c’est la contraction de “Celle” et “nature”. Jean Celle incarne l’âme de l’entreprise. Militant du bio, c’est une personne pleine de valeurs qui a continué à militer bien après la création de l’entreprise, allant jusqu’à participer à des manifs anti-barrage avec le camion Celnat ! (rires)
Aux prémices de ce qu’allait devenir l’agriculture bio, avec une approche holistique, il a découvert la macrobiotique. C'est ce qui a guidé la création de Celnat sur une alimentation pour la santé de l’Homme. Cette macrobiotique implique une alimentation essentiellement basée sur le végétal et a fortiori sur les céréales complètes.
Robert Celle, quant à lui, était le gestionnaire, l’homme de terrain. À l’époque où il travaillait dans le moulin familial, Robert avait déjà constaté la dérive naissante de l’agriculture. Robert et Jean ont été visionnaires. Ils ont décidé de créer ensemble une minoterie différente, qui serait consacrée à des produits plus vertueux, d’un point de vue environnemental et nutritif, quitte à aller à contre-courant de l’essor de l’industrialisation.
Aujourd’hui Celnat compte 65 employés et appartient au groupe suédois MIDSONA, acteur majeur du bio dans les pays nordiques. Pour autant, on a gardé la structure d’une PME : les équipes sont microscopiques, donc on a beaucoup d'interactions entre nous.
"Robert et Jean ont été visionnaires. Ils ont décidé de créer ensemble une minoterie différente, qui serait consacrée à des produits plus vertueux, d’un point de vue environnemental et nutritif, quitte à aller à contre-courant de l’essor de l’industrialisation."
Où et comment sont fabriqués vos produits ?
Nous fabriquons nos produits selon 4 valeurs :
- LE DIRECT FERME : on va chercher des céréales brutes directement auprès des agriculteurs. Non seulement on contrôle la qualité de ce que l’on produit, mais en plus on destine chaque lot à sa meilleure utilisation (un lot moins bon pour la panification mais qui peut être joli visuellement sera transformé en flocons).
- LA QUALITÉ : on observe toute une démarche pour garantir la qualité des matières premières, les ingrédients fournis et le soin apporté aux produits.
- LA POLYVALENCE : chaque céréale ayant une spécificité, on s’est organisé en atelier polyvalent, ce qui souligne les savoir-faire des équipes.
- LE PEU TRANSFORMÉ : on a toujours fait des choses brutes, simples. On est les spécialistes des flocons, on a la plus large gamme d’Europe, 100% bio, c’est notre vrai coeur de métier. Le flocon, c’est une céréale qui a été nettoyée, décortiquée (s’il s’agit d’avoine ou d’épeautre), précuite à la vapeur, aplatie et séchée. À l’inverse, on a refusé des procédés qui auraient dégradé la qualité nutrionnelle du produit, comme l’extrusion (utilisée pour les produits très sucrés comme les célèbres céréales soufflées au miel). L’avenir nous a donné raison puisque depuis 2-3 ans, l’ultra-transformation des aliments est pointée du doigt.
Sauf pénurie extrême (il y en a eu 2 en 40 ans), les flocons viennent de France. Le seigle est récolté à proximité de l’usine, sur des exploitations situées vers le Puy-en-Velay, dans la Haute-Loire. Ces petites exploitations de moyenne montagne sont à taille humaine, pourvoyeuses d’emplois et nous permettent une activité très diversifiée. En revanche, l’avoine a des préférences climatiques qui correspondent plutôt au nord de la Loire. On fait alors appel à des agriculteurs de Bourgogne, Franche-Comté et Normandie.
Avec les agriculteurs, on entretient des partenariats de longue date. On va les voir sur place pour avoir une idée de leur performance et observer leur façon de travailler.
Pourquoi avoir choisi le bio ?
Derrière le bio, il y a la pureté de la matière première sans résidu de composé toxique. On a été les premiers à vérifier tous les lots entrants chez nous pour surveiller les risques de pesticides, d’OGM, les traces de radioactivité ou de métaux lourds. Le sarrasin, par exemple, a la formidable particularité d’absorber les métaux lourds emmagasinés dans le sol, c’est pour ça qu’on l’utilise parfois comme une plante dépolluante pour les terrains contaminés. Toutes les autorités ne demandent pas ces vérifications.
"Je pense que le bio est une voie de renouveau pour la durabilité de nos systèmes. Tout le monde doit s’y mettre et on doit aller encore plus loin, parce que plein de choses formidables nous attendent !"
Pourquoi devrait-on tous consommer bio ?
D’abord pour la planète. Le bénéfice environnemental n’est plus à démontrer. Derrière la bannière de la certification bio, il y a encore des réalités multiples. Ce n’est pas parce que c’est bio que c’est toujours parfait, je le vois plus comme un point de départ où on met les choses à plat, une nouvelle voie vertueuse à suivre pour le bien de la planète.
L’agriculture se travaille sur des temps longs et l’agriculture bio n’est pas parfaite mais toujours mieux que la conventionnelle avec les limites qu’on lui connaît. Je pense que le bio est une voie de renouveau pour la durabilité de nos systèmes. Tout le monde doit s’y mettre et on doit aller encore plus loin, parce que plein de choses formidables nous attendent !
En plus d’être transparente sur les matières premières comme je le disais, la bio est génératrice d’emplois. Dans la genèse de la bio, il y a la notion d'humain, de solidarité et de répartition des richesses tout au long de la chaîne de valeur. Si on veut un système durable, il faut que tout l’écosystème soit gagnant, que l’agriculteur retrouve la noblesse de son métier et puisse en vivre comme il faut à nouveau.
Enfin, consommer bio pour soi-même. Le principal critère de choix du bio aujourd’hui est la santé. Les gens ont raison, beaucoup d’études montrent la corrélation entre produits bio et état de santé.
Vous faites quoi pour réduire votre impact carbone ? Et le plastique, vous y réfléchissez ?
Il y a toute la partie approvisionnement local de matière première que l’on a déjà évoquée. On privilégie le local, le direct agriculteur et donc la France quand c’est possible, mais parfois on importe, le riz basmati et le sésame notamment.
J’ai aussi rejoint Celnat pour la transparence et l'honnêteté. Quand il y a des points d'amélioration sur lesquels on doit travailler, on le dit. Lorsqu’on on a des défauts, c’est notre responsabilité de les mettre en avant. C’est le cas avec le plastique : on emballe avec des sachets plastiques complexes, pas l’idéal du point de vue environnemental. Jusqu’à présent, on l’utilisait pour satisfaire les exigences d’imperméabilité et de résistance. Ce n’est pas évident parce que l’on a de grosses contraintes techniques, mais on travaille à des alternatives recyclables que l’on espère voir aboutir (même si le recyclage n’est pas la panacée…). A minima, on évite le suremballage. On a également 150 références en vrac, dans du papier kraft recyclable. Le vrac représente ¼ de notre chiffre d’affaire.
Qu’est-ce qui vous rend fier ?
Quand ça fait sens. L’activité transversale de l’entreprise, le fait qu’on se reconnecte à l’agricole pour aller de l’agriculteur au produit fini sans même passer par une coopérative, ça fait sens. C’est justement en étant au contact des agriculteurs, et donc de leurs contraintes et leurs desideratas, qu’on a été les premiers à se pencher sur la réintroduction de blés anciens et à travailler des variétés de céréales traditionnelles, alors abandonnées. À l'époque, personne ne comprenait ce choix.
Je suis fier que grâce à nous, l'agriculteur qui a été dépossédé de son savoir puisse se réapproprier le travail ancestral qui est le sien : sélectionner sur son terroir la culture la plus adaptée. Lui-même gagne en sens et en fierté. En plus, ce sont des filières qui sont mieux rémunérées puisque l’on retombe sur des démarches commerciales normales dans lesquelles c’est le vendeur qui fixe son prix de vente. On ne négocie jamais à la baisse avec eux, parfois même à la hausse !
C’est quoi votre combat ?
Chez Celnat, l’éducation à la nutrition est tout aussi importante que la nutrition elle-même, avec une dimension cuisine : on a à coeur de proposer de vrais aliments, des produits de base et pas du “tout prêt”. On essaye d’encourager les gens à cuisiner à la maison et éviter les produits transformés.
Une autre de nos valeurs fortes est le complet. Au sortir de la guerre, les gens avaient mangé le pain noir et ne voulaient plus que du blanc. Pour produire du pain blanc, on ne garde que le grain et on enlève son enveloppe. Or, celle-ci renferme les composés protecteurs du grain, comme le son et le germe, qui sont constitués de fibres dont on a besoin pour entretenir notre microbiote. En ne consommant que du blanc, on a seulement un apport en énergie.
"Retravaillons le modèle basé sur la qualité, le consentement à payer le vrai prix pour le consommateur et à le répartir pour tous les acteurs, notamment les agriculteurs, qui ont souvent des revenus très modestes."
À quoi rêvez-vous pour l’avenir ?
Je rêve d’une agriculture durable et résiliente dans un monde où l’on ne chercherait pas la course au rendement pour l'alimentaire. Retravaillons le modèle basé sur la qualité, le consentement à payer le vrai prix pour le consommateur et à le répartir pour tous les acteurs, notamment les agriculteurs, qui ont souvent des revenus très modestes.
Je rêve d’une transition de modèle et d’un nouveau paradigme, une économie qui prendrait en compte davantage de critères écologiques, l’avènement d’un monde nouveau qui ne serait plus dicté par la finance.
Qu’est- ce que vous aimeriez transmettre aux générations futures ?
Le respect. Le fait de considérer les choses de façon holistique, d’avoir une vision large et non réductionniste sur l’écologie. Le monde s’en porterait mieux.
C’est tout simple ! 3 mots pour décrire votre marque ?
Qualité, santé et authenticité.
C’est quoi votre produit chouchou ?
J’aime beaucoup notre muesli étudiant réalisé à partir de nos produits bruts auxquels on ajoute des fruits secs. Mon conseil serait de le mettre à réhydrater dans du lait végétal au frigo pendant la nuit. Au matin, tout a regonflé : sensoriellement, c’est sympa et pour la digestion, c’est optimal !
Un petit truc à partager ?
Les travaux intéressants d’Anthony Fardet, un chercheur de l’INRA qui travaille sur la notion de nutrition holistique et de Jacques Caplat, qui est agronome.
Sinon, avec mes collèges Charlène et Delphine, nous avons fondé l’association “Le Robin des fermes”, pour venir en aide aux personnes en difficulté. On a lancé l’opération “1€ = 2 heureux“, une collecte de fonds au profit du Secours Populaire. On achète auprès de producteurs des denrées alimentaires fraîches de qualité pour les populations défavorisées. Du coup, on soutient aussi les petits producteurs de Haute-Loire. C’est un projet qui nous tient à cœur et qui nous anime beaucoup !