L’interview « Prenez-en de la graine ! » de Jean-Marc, vigneron en partenariat avec Les Grappes
Par Sophie Le lundi 22 août 2022
Cette devise familiale un peu austère a permis à la famille Brocard d’établir le domaine Jean-Marc Brocard comme un des vignerons star du Chablis. Vin, Terre, Nature et Tradition. Suivez-nous !
Vous pouvez nous en dire un peu plus sur votre parcours et pourquoi le vin ?
Né en Bourgogne d’une famille de modestes agriculteurs, je voulais rester dans cette pauvre petite ferme afin de garder le contact avec la nature et par souci de liberté. Ceci contre le gré de mes parents. Après l’obtention d’un BTS et un passage heureux dans un bureau d’études, l’occasion m’a été donnée de revenir comme commis chez ma belle famille dans leur vignoble de Saint Bris le Vineux. La rencontre avec cette nouvelle activité, mon beau-père Émile Petit et ses amis, fût un enrichissement exceptionnel porté par les valeurs de la terre que je connaissais. Le choix m’était donné de continuer également la culture des cerises mais j’ai préféré me concentrer sur le vin. Produit non périssable, le vin permet le contrôle de sa commercialisation, la rencontre avec des consommateurs du monde entier, d’horizons différents. Le vin avant de naître, nécessite un long travail de la vigne; non seulement annuel au travers des quatre saisons, mais anticipatif, ou conséquent de nos propres actes ou des aléas de la nature sur bien des années.
Si vous deviez incarner un vin ?
C’est pas toujours le même suivant les jours où les époques. Je me reconnais davantage dans un Chablis Sainte Claire (variable suivant les saisons mais qui finit toujours bien). Je préfère le Vieilles Vignes qui représente feu Petit Louis mon Maître, mais je ne mérite pas cette comparaison.
Quelle est votre période de l’année préférée ?
Le passage de chaque saison est toujours une renaissance, un émerveillement. Toutefois la période des vendanges malgré le dur travail reste une offrande de la nature qu’il faut accueillir avec respect et joie, malgré les résultats.
Quels sont les 2 mots qui décrivent le mieux votre caractère ?
Ce ne sont pas forcément des qualités et ce n’est peut-être pas à moi de me qualifier. Je dirais observateur et réactif.
Une anecdote à partager ?
De nombreuses anecdotes se sont passées dans les caves. Le vin dans toute l’Histoire a été un vecteur de rapprochement et de partage. La cave reste le temple intemporel qui vous protège de la vue et des agressions extérieures.
L’anecdote la plus connue fût la récupération du jeune footballeur Tainio par Guy Roux en concurrence avec d’autres clubs internationaux. L’entraîneur d’Auxerre avait réuni dans la cave, les parents du joueur originaires du Nord de la Finlande, les interprètes, ainsi que son staff. Peu décidés à laisser leur fils à Auxerre, après des heures de difficiles conversations et une consommation excessive de nos meilleures bouteilles ; les Parents Tainio tapèrent dans la main et comprirent que la meilleure place pour leur fils était là.
Quelle est la rencontre qui vous a le plus marqué ?
Ma plus belle rencontre fût sans doute celle de Louis Petit qui me récupéra comme son fils et m’accompagna pendant 35 ans dans ce voyage à travers la vigne, le vin, les hommes et femmes. Ce fut mon maître. Si toute rencontre est un partage en faisant foi de ses préjugés, j’ai aussi été particulièrement fasciné par la sagesse, la simplicité, le réservoir de connaissances du poète et ami Jacques Lacarriere rencontré grâce à Louis.
Qu’est-ce qui vous insupporte dans le monde du vin ?
C’est le dogme, le jugement hâtif, les certitudes de certains dégustateurs. C’est aussi la dissection du produit qui consiste à ne se concentrer que sur les défauts. La dissection est la mort, alors qu’un vin dans son entier représente la vie, on l’aime instinctivement avec ses défauts qui sont souvent très utiles dans son épanouissement. Vous me faites penser à l’analyse sensorielle qui est une connerie monumentale de dissection conduisant à la standardisation du produit. Chaque endroit, chaque être est une différence, une évocation, un respect.
« Regarde, tais-toi, apprends » c’est ainsi que l’on vous a formé au métier de vignerons. Vous reproduisez cette même philosophie avec votre fils ?
Nos trois enfants ont reçu la même éducation, celle que nous avons nous-mêmes reçue de nos parents paysans. Nous ne les avons pas obligés mais je pense qu’ils sont emprunts de ces valeurs. Julien qui conduit le Domaine est parfaitement en adéquation avec cette philosophie.
Vous êtes particulièrement tournés vers la biodynamie et commercialisez une large gamme de vins biodynamiques. Vous pensez qu’il s’agit ici d’un réel retour aux sources ou d’une tendance qui viendra à s’estomper avec le temps ?
Le retour à la biodynamie est une initiative de Julien commencée en 1998 sur une parcelle de 11 hectares « la boissonneues ». Malgré mon appréhension, c’est par conviction d’améliorer la vie des sols et de la plante que Julien a entrepris ce travail de longue haleine. Convaincu d’une meilleure exploration des sols, d’une tempérance de la vigne, malgré des passages difficiles.
Ce n’est pas par souci de mode ou communication que Julien s’est appliqué à cet ouvrage. Les résultats sont indéniables, si toutefois les vins ne sont pas des mannequins standards de la dernière mode. Ils ont le mérite d’être réveillés et particulièrement vivants avec peut-être des défauts… Oui, ça n’est qu’un retour aux sources, déjà pratiqué par mon père sur sa petite ferme. Ce dernier n’était pas entré dans le conformisme chimique de l'après-guerre.
Vous avez fait le don d’une de vos parcelles aux hospices de Beaune et vous êtes aujourd’hui le premier domaine sur l’appellation Chablis à participer à cette œuvre caritative. Qu’est-ce qui vous a poussé à en faire le don ?
Pourquoi médiatiser cet acte ? C’est le même acte que celui du pauvre qui donne un euro à un nécessiteux. Du reste, quelques collègues bien connus m’ont fait remarquer que ce n’était pas un grand don au regard de notre surface (eux-mêmes n’ont encore rien fait…). Bref, ce don est un petit signe de reconnaissance à ma Bourgogne natale, près de Beaune. Cette Bourgogne est celle de Vincenot, de la lignée des Brocard à quelques lieues de mon village, Chaudenay le Château. C’est à l’Hôpital des Hospices que mon père a expiré. Les médias en ont parlé, ce n’était pas prévu, mais un grand merci pour cette pub.