A quoi ressembleront les fermes de demain ?
Par Sophie Le mercredi 25 août 2021
Impossible de le nier, notre alimentation est en train de se transformer. Elle se dirige vers des produits végétaux, vers des produits locaux et vers des produits sains pour l’être humain et la planète. Les raisons peuvent être une motivation de santé personnelle et/ou une prise de conscience écologique.Il est difficile d’ignorer que 30% des émissions de gaz à effet de serre en France sont imputables à notre alimentation. Et en parallèle des préférences alimentaires des Français se transforme notre façon de la produire. Le modèle de ferme-usine de plusieurs centaines d’hectares en monoculture et mécanisée à outrance n’a plus le vent en poupe et des dizaines d’initiatives sont apparues ces dernières années pour faire émerger de nouveaux modèles de production.
Imaginons ensemble à quoi pourrait ressembler la ferme de demain (mais vraiment de demain, pas celle de 2050, celle de 2022 !). Dans cet exercice nous avons voulu nous inspirer de modèles existants et reproductibles, car rien de plus inspirant qu'un projet que l’on peut tester et soutenir ! Parlons donc de ferme urbaine, de tiers-lieux nourriciers et de fermes collaboratives et diversifiées.
Il est temps de se réapproprier la ville et de la rendre nourricière ! L’espace public regorge d’endroits pouvant donner lieu à des projets agricoles. Que ce soit sur les toits de l’hyper-centre, dans les parcs publics, dans les jardins de nos monuments (vous connaissez la ferme du Château de Chambord ?) ou dans nos cours d’écoles. Et puis il y a les espaces du périurbain, parfois oubliés : les terres disponibles autour des usines, les friches industrielles laissées à l’abandon, etc. N’oublions pas que, à l’époque, c’était monnaie courante dans nos villes d’avoir une ceinture maraîchère en zone péri-urbaine. Le périurbain donne l’avantage de cultiver les fruits et légumes en pleine terre, avec suffisamment d’espace tout en bénéficiant de la proximité de la ville. Ces ceintures maraîchères peuvent fournir une part importante de produits frais aux villes qu’elles approvisionnent, surtout concernant le végétal.
Ce schéma de Growing Community, une organisation anglaise, montre comment le système alimentaire des villes peut s’organiser en cercles concentriques en privilégiant la proximité urbaine et péri-urbaine pour les produits ultra-frais (salades, légumes,fruits, herbes aromatiques, etc.).
Les fermes urbaines ont davantage une visée pédagogique et sociale que la volonté de nourrir les habitants des villes, faute d’espace suffisant. Cependant ce sont des acteurs très importants qui permettent aux citadins de renouer avec la nature et de découvrir la culture des plantes. Ainsi une organisation comme Veni Verdi installe ses jardins dans des écoles de quartiers défavorisés afin de donner une alternative à des enfants qui ne voient parfois que le bitume. Une étude a montré que les enfants citadins sont capables d’identifier des centaines de marques uniquement avec leur logo mais ne peuvent reconnaître que 5 ou 6 végétaux ; l’importance des espaces verts pédagogiques dans les villes est donc indéniable.
Nous voulions vous présenter un très bel exemple de ferme périurbaine/urbaine qui mérite d’être essaimée dans toutes les villes de France : la ferme Zone Sensible du Parti Poétique. Cette ferme est implantée sur un hectare en Seine Saint Denis depuis 2017. L’association Parti Poétique, créée en 2003, regroupe des artistes et des penseurs structurés autour “de la nature, la culture et la nourriture”. On peut penser que la ferme n’est pas là par hasard ; en effet, au XIXe siècle, une ferme maraîchère se trouvait sur ce terrain. C’est donc une forte symbolique qui anime ce lieu à visée sociale et presque politique. Jean Philip Lucas, coordinateur du développement de la ferme en est bien conscient : “Avant, le nord de Paris s’appelait la plaine des Vertus, car c’était la plus vaste plaine légumière de France ; il y avait des fermes partout. Il faut qu’on arrive à préserver ce patrimoine, qu’il ne disparaisse pas au profit de McDonald’s, des kebabs et des immeubles.“ Consciente des enjeux liés à l’accès à une nourriture saine pour les ménages de ce département défavorisé, la ferme a décidé pendant la première vague du COVID en 2020 de donner leurs productions sous forme de paniers de fruits et légumes aux familles voisines en difficulté. Plusieurs associations locales sont venues les soutenir dans cette démarche. Cette initiative a montré l’importance primordiale d’avoir accès à des sources d’alimentation locale et le rôle que peuvent jouer les fermes périurbaines et urbaines dans les crises sanitaires et sociales. Mais ce n’est pas tout, Zone Sensible c’est aussi un endroit qui accueille les bénévoles qui souhaitent apprendre et découvrir le maraîchage ainsi que des écoliers qui viennent apprendre à reconnaître les différents végétaux.
Le tiers-lieux nourriciers et ruraux
Sortons des villes et allons dans la campagne pour y observer un phénomène nouveau mais qui se reproduit de plus en plus, le tiers-lieu nourricier en milieu rural. Le tiers-lieu par définition est censé être un lieu qui n’est ni votre travail, ni votre lieu d’habitation. Dans la pratique, ce sont souvent des lieux urbains hybrides où s'entremêlent restaurant, bar, jardin urbain, espace de coworking, animation d’évènements, repair café, ateliers manuels, etc. Parfois les tiers-lieux ont des thématiques écologiques ou sociales. On les définit souvent comme étant des lieux d'innovation, de collaboration et de convivialité. On connaît bien sûr La Recyclerie ou les Grands Voisins à Paris, Darwin à Bordeaux ou La Voisinerie à Lille.
Les tiers-lieux nourriciers s’inspirent de cet esprit de collaboration, d’espace de création, d’échange et de convivialité. Ils ont la particularité de se trouver dans des espaces ruraux et d’être focalisés sur la transition agro-écologique. Leur but est de mettre en relation consommateurs et producteurs à un niveau local, de permettre la communication entre ces deux mondes qui souvent ne dialoguent pas. Et le meilleur moyen pour réussir cela est de prouver par l’exemple qu’un autre mode de vie et d’alimentation est possible. Si les tiers-lieux nourriciers installés sur des fermes et en ruralité ne sont pas encore nombreux, cette idée de créer des espaces hybrides multi-activités avec un focus sur l’agriculture chemine dans la tête de nombreux nouveaux acteurs. Avec la volonté de beaucoup de retourner vivre à la campagne accélérée par les confinements en série, on peut parier que ce modèle est amené à se développer davantage !
Pour comprendre le potentiel derrière le tiers-lieu nourricier, nous pouvons prendre l’exemple de la Ferme des Volonteux dans la Drôme. Cette SCOP (Société Coopérative Ouvrière de Production) est une rencontre entre l’agriculture biologique et l’économie sociale et solidaire. On y retrouve une vingtaine de personnes cultivant 25 hectares de fruits, de légumes et de céréales. Qu’est-ce qui les différencie d’une ferme lambda ? Ils organisent en parallèle des soirées ciné-débats, des animations, des conférences et des formations. On trouve également sur leur ferme un magasin de plantes médicinales, une épicerie et une friperie. Leur volonté est de créer un collectif convivial ancré dans le territoire et promouvant le faire-ensemble, c’est tout l’esprit d’un tiers-lieu nourricier !
Les fermes collaboratives et diversifiées
La ferme des Volonteux permet de faire la parfaite transition vers un troisième modèle agricole en vogue : la ferme collaborative et diversifiée. L’agriculture ne se fait plus seule, elle se fait à plusieurs !
Pourquoi une agriculture à plusieurs ? Sur le plan humain, la ferme collaborative permet d’avoir un réseau de soutien face aux difficultés inhérentes au métier éprouvant d’agriculteur. Être à plusieurs cela veut dire du soutien en cas de coup dur et du monde pour célébrer dans les moments joyeux ! En outre, en terme de qualité de vie, ce type d’organisation donne des options pour alléger le temps de travail : mutualisation de certaines tâches, partage des astreintes de week-end et jours fériés, partage de garde des enfants, etc. Sur le plan économique, de nombreuses dépenses peuvent être mises en commun (certaines machines agricoles, matériel de bureautique, etc.), le lieu de vente peut être partagé, la popularité de l’un peut bénéficier à l’autre et un atelier de production peut fournir l’autre en matières premières (par exemple l’atelier de l’élevage fournit le maraîchage en fumier). Et enfin sur le plan écologique, une ferme diversifiée permet de boucler le cycle des nutriments et de rester à un niveau local : pas besoin d’importer du soja du Brésil, l’atelier de grandes cultures fournit les rations alimentaires et les litières des animaux, les excréments des animaux fournissent le maraîchage en engrais, etc. De plus, chaque espace de la ferme est valorisé (terre cultivable et prairies naturelles).
Si cette structure de ferme collaborative et diversifiée présente de nombreux avantages en phase avec les aspirations des agriculteurs d’aujourd’hui, elle n’est pas forcément facile à mettre en place. Il y a des défis juridiques, humains et financiers pour créer ce genre de modèle encore peu répandu dans le monde agricole. C’est pour cela que des organisations comme Fermes En ViE aident au développement de ces initiatives, à la fois en proposant des projets de fermes collaboratives à des groupes de porteurs de projet voulant s’installer, en les accompagnant dans la consolidation et la structuration du projet collectif en facilitant l'accès aux terres agricoles. Pour cela FEVE fait appel à l'épargne citoyenne pour financer l'achat de fermes et permet à des agriculteurs de s'associer et de s'y installer.
Quand on sait que un agriculteur sur trois partira à la retraite d’ici trois ans et que la moitié ne sera pas remplacée, il est évident qu’il est urgent de mettre en avant des nouveaux modèles pour renouveler les générations agricoles, nourrir les bientôt 75 millions de Français, valoriser nos territoires à l’échelle locale et préserver climat et biodiversité. Les fermes urbaines et périurbaines, les tiers lieux nourriciers et les fermes collaboratives et diversifiées sont trois pièces du puzzle qui permettront de résoudre ces grands enjeux !